Chapitre 15
Dans le chapitre précédent, nous avons généralisé la notion d’oxydoréduction à des cas plus généraux que les réactions en solution aqueuse, en particulier aux réactions d’oxydation par voie sèche.
La notion de nombre d’oxydation d’un élément nous sera particulièrement utile lorsque la notion de transfert d’électrons n’est pas toujours évidente.
Nombre d’oxydation d’un élément
Électronégativité des éléments
Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’un élément est d’autant plus électronégatif qu’il attire plus fortement les électrons.
Rappelons que le fluor ($\ce{F}$) est l’élément le plus électronégatif. On conçoit qu’un élément très électronégatif soit également très oxydant puisqu’il acquiert facilement des électrons. Ainsi, l’élément oxygène figure-t-il en bonne place dans la liste des éléments électronégatifs. Au contraire, les éléments peu électronégatifs tels que les métaux alcalins ($\ce{Li}$, $\ce{Na}$, $\ce{K}$, $\ce{Cs}$), le magnésium, l’aluminium, seront des réducteurs. Il faut noter que la notion d’électronégativité est une propriété des atomes eux-mêmes.
Définition du nombre d’oxydation d’un élément
Le nombre d’oxydation (n.o.) d’un élément dans un individu chimique quelconque est un nombre algébrique. noté en chiffres romains, et défini conventionnellement à partir de deux règles.
Règle 1
Le nombre d’oxydation d’un élément dans un ion monoatomique est égal à sa charge électrique.
Exemples
- Ion $\ce{H+}$ : nombre d’oxydation +I.
- Ion $\ce{Cl-}$ : nombre d’oxydation -I.
- Ion $\ce{Fe^{2+}}$ : nombre d’oxydation +II.
Cette règle trouve évidemment son application dans le cas des ions en solution aqueuse : le nombre d’oxydation comptabilisant les transferts d’électrons dans les réactions d’oxydoréduction en solution aqueuse. Elle trouve également son application dans le cas des cristaux ioniques constitués d’ions monoatomiques.
Application
Déterminer les n.o. dees éléments constituant les cristaux ioniques suivants : chlorure de sodium ($\ce{NaCl}$), hydrure de sodium ($\ce{NaH}$), alumine ($\ce{Al2O3}$), oxyde magnétique de fer ($\ce{Fe3O4}$Fe3O4).
Réponses
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Chlorure de sodium ($\ce{NaCl}$) : On a vu dans le cours de Seconde qu’il s’agit d’un composé ionique formé d’un réseau d’ions $\ce{Na+}$ et $\ce{ Cl- }$. D’après la règle 1, l’élément chlore, présent sous forme d’ions chlorure, a pour n.o. -I, l’élément sodium a pour n.o. +I.
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Hydrure de sodium ($\ce{ NaH }$): Dans ce solide ionique, l’élément sodium est sous forme d’ions $\ce{ Na+ }$ et l’élément hydrogène sous forme d’ions $\ce{ H- }$.
On peut s’étonner de trouver l’hydrogène sous forme d’ions négatifs. En fait, ce cas est conforme au tableau des électronégativités : l’atome d’hydrogène est plus électronégatif que l’atome de sodium (2,1 pour H ; 0,9 pour Na dans l’échelle de Pauling). Dans l’hydrure de sodium, le nombre d’oxydation de l’élément hydrogène est -I, celui de l’élément sodium +I.
Il faut noter que cette valeur -I du nombre d’oxydation de l’hydrogène est plutôt exceptionnelle ; elle ne s’observe que dans les hydrures des métaux plus électropositifs que l’hydrogène. Nous verrons que la valeur généralement observée du nombre d’oxydation de l’hydrogène est +I. -
Alumine ($\ce{ Al2O3 }$) : Dans ce cristal ionique, l’élément oxygène est sous forme d’ions $\ce{ O^{2-} }$ ; l’oxygène a donc pour nombre d’oxydation -II. L’aluminium est sous forme d’ions $\ce{ Al^{3+} }$, de sorte que la neutralité électrique du cristal est respectée : $$ 3 \times (-2) + 2 \times (+3) = 0 $$ L’élément aluminium a pour nombre d’oxydation +III. On a de manière évidente la relation suivante entre les nombres d’oxydation : $$ 3 \times (-2) + 2 \times (+3) = 0 $$
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Oxyde magnétique de fer ($\ce{ Fe3O4 }$) : Dans ce cristal ionique, l’élément oxygène est sous forme d’ions $\ce{ O^{2-} }$ et a donc pour nombre d’oxydation -II. Le cas de l’élément fer est plus complexe, car on y trouve des ions $\ce{ Fe^{2+} }$ et des ions $\ce{ Fe^{3+} }$. En effet, pour la formule globale $\ce{ Fe3O4 }$, l’oxygène correspond à $4 \times (-2)$ charges ; pour assurer la neutralité électrique du cristal, il y a deux fois plus d’ions $\ce{ Fe^{3+} }$ que d’ions $\ce{ Fe^{2+} }$. Ainsi : $$ \underset{\text{ions } \ce{O^{2-}}}{4 \times (-2)} + \underset{\text{ions } \ce{Fe^{3+}}}{2 \times (+3)} + \underset{\text{ions } \ce{Fe^{2+}}}{1 \times (+2)} = 0 $$ L’élément fer est donc présent sous deux formes différentes de nombres d’oxydation : +II et +III.
On peut lui attribuer un nombre d’oxydation moyen $x$, tel que : $$ x = \dfrac{2 \times (+3)+ 1 \times (+2)}{2+1}=\dfrac{8}{3} $$ Ce nombre $x$ vérifie évidemment la relation : $$ 4 \times (-2) + 3 x = 0 $$ à rapprocher de la formule globale $\ce{ Fe3O4 }$ et analogue à la relation écrite pour $\ce{ Al2O3 }$, par exemple : la somme des nombres d’oxydation multipliés par le nombre des atomes figurant dans la formule chimique est nulle.
Règle 2
Pour un composé covalent, les électrons de la liaison sont attribués arbitrairement à celui des atomes qui a la plus grande électronégativité. Les nombres d’oxydation des éléments du composé sont égaux à la charge fictive ainsi attribuée à chaque élément.
La conservation de la charge exige que :
- dans une molécule, la somme algébrique des nombres d’oxydation, multipliés par les nombres des atomes de l’élément présents dans le molécule, soit nulle ;
- dans un ion polyatomique, la somme définie précédemment soit égale à la charge algébrique de l’ion.
Il découle de cette règle que le nombre d’oxydation de l’élément oxygène figurant dans les composés covalents est généralement -II, celui de l’élément hydrogène +I. Dans un corps simple, le nombre d’oxydation de l’élément est zéro.
Dans le molécule de dichlore $\ce{ Cl2 }$, par exemple, la répartition des charges électriques est parfaitement symétrique. On ne peut attribuer le doublet de liaison covalente à un atome de chlore plutôt qu’à l’autre. La charge fictive attribuée à chaque atome de chlore est donc nulle, et le nombre d’oxydation attribué à l’élément chlore dans le corps simple sera donc zéro.
Application 1
Trouver les nombres d’oxydation des divers éléments dans les molécules covalentes suivantes : $\ce{ H2O }$, $\ce{ HCl }$, $\ce{ CO2 }$, $\ce{ CO }$, $\ce{ H2S }$, $\ce{ SO2 }$, $\ce{ H2SO4 }$.
Réponses
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Molécule $\ce{ H2O }$ : Les deux électrons appartenant initialement aux atomes d’hydrogène sont attribués à l’atome d’oxygène plus électronégatif. Ces deux électrons confèrent à l’élément oxygène le nombre d’oxydation -II. Si $x$ désigne le nombre d’oxydation des atomes hydrogène, la règle 2 donne : $$ -2 + 2x = 0 \iff x = +1 $$
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Molécule $\ce{ HCl }$ (chlorure d’hydrogène) : L’électron appartenant initialement à l’atome d’hydrogène est attribué à l’atome de chlore plus électronégatif, ce qui confère le nombre d’oxydation -I à l’élément chlore. Le nombre d’oxydation de l’élément hydrogène est égal à +I.
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Molécule $\ce{ CO2 }$ (dioxyde de carbone) : Quatre électrons, appartenant initialement au carbone, sont attribués aux deux atomes d’oxygène, soit deux électrons par atome d’oxygène. Le nombre d’oxydation de l’élément oxygène est ainsi -II. Si $x$ désigne celui de l’élément carbone, on a : $$ x + 2 \times (-2) = 0 \iff x = +4 $$
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Molécule $\ce{ CO }$ (monoxyde de carbone) : Un raisonnement analogue conduit à attribuer à l’élément carbone dans cette molécule le nombre d’oxydation +II.
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Molécule $\ce{ H2S }$ (sulfure d’hydrogène) : Le raisonnement est le même que celui fait pour la molécule $\ce{ H2O }$. Le nombre d’oxydation de l’élément soufre est ainsi -II et celui de l’élément d’hydrogène +I.
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Molécule $\ce{ SO2 }$ (dioxyde de soufre) : Le raisonnement est analogue à celui fait pour la molécule $\ce{ CO2 }$. Le nombre d’oxydation de l’élément soufre dans cette molécule est +IV. Il serait +VI dans la molécule de trioxyde de soufre $\ce{ SO3 }$.
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Molécule $\ce{ H2SO4 }$ (acide sulfurique) : Plutôt qu’une étude détaillée de l’attribution des électrons aux atomes de cette molécule, on se borne à un calcul algébrique en attribuant le nombre d’oxydation -II à l’élément oxygène et le nombre oxydation +I à l’élément hydrogène.
Si $x$ désigne le nombre d’oxydation du soufre, on a : $$ x + 4 \times (-2) + 2 \times (+1) = 0 \iff x = +6 $$ Le nombre d’oxydation du soufre dans le molécule $\ce{ H2SO4 }$ est le même que dans le molécule $\ce{ SO3 }$.
Application 2
Trouver les nombres d’oxydation des divers éléments dans les ions polyatomiques covalents suivants : $\ce{ MnO4- }$ (ion permanganate), $\ce{ Cr2O7^2- }$ (ion dichromate), $\ce{ SO4^2- }$ (ion sulfate), $\ce{ HSO4- }$ (ion hydrogénosulfate).
Réponses
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Ion permanganate $\ce{ MnO4- }$ : Si $x$ est le nombre d’oxydation de l’élément manganèse, la règle 2 donne : $$ x + 4 \times (-2) = -1 \iff x = +7 $$ Le nombre d’oxydation de l’élément manganèse est +VII.
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Ion dichromate $\ce{ Cr2O7^2- }$ : Si $x$ est le nombre d’oxydation de l’élément chrome, la règle 2 donne: $$ 2x + 7 \times (-2) = -2 \iff x = +6 $$ Le nombre d’oxydation de l’élément chrome est +VI.
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Ion sulfate $\ce{ SO4^2- }$ : La même règle donne : $$ x + 4 \times (-2) = -2 \iff x = 6 $$ Le nombre d’oxydation de l’élément soufre est +VI.
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Ion hydrogénosulfate $\ce{ HSO4- }$ : Attribuons le nombre d’oxydation +I à l’hydrogène. Si $x$ est le nombre d’oxydation de l’élément soufre, nous avons : $$ x + (1) + 4 \times (-2) = -1 \iff x = +6 $$ On notera que le nombre d’oxydation de l’élément soufre dans la molécule $\ce{ H2SO4 }$, dans les ions sulfate $\ce{ SO4^2- }$ et hydrogénosulfate $\ce{ HSO4- }$, est le même : +VI.
Les réactions acido-basiques : $$ \begin{aligned} \ce{H2SO4 + H2O}\ &\ce{->}\ \ce{HSO4- + H3O+}\\ \ce{HSO4- + H2O}\ &\ce{<=>}\ \ce{SO4^2- + H3O+} \end{aligned} $$ ne modifient pas le nombre d’oxydation de l’élément soufre. Plus généralement, on observera qu’une réaction acido-basique ne modifie pas le nombre d’oxydation de l’élément intervenant dans les diverses espèces acides et basiques.
En conclusion, nous noterons que l’attribution d’électrons aux atomes d’un composé covalent en vue de définir les nombres d’oxydation est une opération fictive. Cette opération peut d’ailleurs parfois comporter des diffrcultés. Les nombres d’oxydation ont une certaine utilité, mais il ne faut pas en exagérer la portée. Il s’agit d’une algèbre, d’une comptabilité en partie conventionnelle.
Application de la notion de nombre d’oxydation
Cette application porte sur l’écriture de l’équation-bilan d’une réaction rédox.
Il résulte de la définition même des nombres d’oxydation que :
- Lorsqu’un élément est réduit, son nombre d’oxydation diminue ;
- Lorsqu’il est oxydé, son nombre d’oxydation augmente.
Donc, dans une équation équilibrée du point de vue rédox, la variation du n.o. de l’élément oxydant, multiplié par le coefficient correspondant de l’équation-bilan, est égale, au signe près, à la variation du n.o. de l’élément réducteur, multiplié de la même façon par le coefficient de l’équation-bilan.
Cette règle ne fait que traduire le bilan des échanges électroniques réels ou fictifs lors de la réaction d’oxydoréduction.
L’utilisation des n.o. permet donc de trouver les coefficients d’une équation-bilan qui assurent la conservation des charges électriques et la conservation des éléments. Prenons deux exemples :
- Exemple 1
- Action du dihydrogène sur l’oxyde de cuivre II
$$
\underset{\text{n.o. +II}}{\ce{CuO}} +
\underset{\text{n.o. 0}}{\ce{H2}} \ce{->}
\underset{\text{n.o. 0}}{\ce{Cu}} +
\underset{\text{n.o. +I}}{\ce{H2O}}
$$
Il s’agit d’une réaction d’oxydoréduction par voie sèche.
La somme des variations des n.o. est nulle ; l’équation est équilibrée du point de vue rédox, elle l’est aussi en éléments.
Le cuivre a été réduit puisque son n.o. diminue : il passe de +II à 0, tandis que l’hydrogène a été oxydé : son n.o. passe de 0 à +I. - Exemple 2
- Action de l’ion fer II ($\ce{ Fe^2+ (aq)}$) sur l’ion permanganate en solution aqueuse en milieu acide.