La Cinématique


Chapitre 01


$ \global\def\dif#1{\dfrac{\mathrm{d} #1}{\mathrm{d} t}} \global\def\diff#1{\dfrac{\mathrm{d}^2 #1}{\mathrm{d} t^2}} $

§1. L’espace et le temps

1. En mécanique on entend par mouvement le changement avec le temps de la position spatiale d’un corps. La position du corps dont il est question est une position relative, définie par rapport à d’autres corps. Le concept de position absolue, qui serait la position d’un corps dans un « espace absolu », donc sans aucune référence à celles d’autres corps, est dénué de sens.

Le corps ou le système de corps par rapport auxquels on définit les positions d’autres corps sont désignés sous le nom de système de référence ou référentiel ou repères.

Il est dénué de sens d’affirmer que deux évènements différents et non simultanés se sont produits dans un seul et même point de l’espace si on ne précise pas le référentiel utilisé. Soit un voyageur, assis dans un train en mouvement, qui retire à un instant donné un objet de sa valise, puis le remet en place. On ne pourra dire que ces deux actions du voyageur ont eu lieu au même endroit que si on avait choisi comme référentiel le wagon du train en mouvement. Mais si nous avions choisi pour référentiel la voie du chemin de fer, les deux évènements en question auront lieu en des endroits différents, par exemple l’un à Moscou et l’autre à Léningrad.

2. On peut choisir comme référentiel un corps solide auquel seraient liés des axes de coordonnées, par exemple un trièdre trirectangle constitué par des tiges rigides. Dans ce référentiel la position de tout point pourrait être définie par trois nombres que sont les coordonnées $x$, $y$ et $z$ de ce point ; ces coordonnées représentent respectivement les distances de ce point aux trois plans $YZ$, $ZX$ et $XY$ de notre référentiel (fig. 1). Les trois coordonnées $x$, $y$, $z$ peuvent être combinées pour définir un rayon vecteur $\mathbf{r}$, qui est un segment de droite pointant de l’origine du trièdre de référence vers le point considéré. Les coordonnées $x$, $y$, $z$ sont les projections du rayon vecteur sur les axes de coordonnées. Aussi écrira-t-on

$$ \mathbf{r} = x\, \mathbf{i} + y\, \mathbf{j} + z\, \mathbf{k}$$

où $\mathbf{i}$, $\mathbf{j}$, $\mathbf{k}$ sont des vecteurs unitaires orientés le long des axes $X$, $Y$, $Z$.

On utilise deux trièdres de référence qui se laissent distinguer par application de la règle du tire-bouchon. Prenons un tire-bouchon normal (filetage à droite) et tournons-le de manière que son manche soit dans le plan $X Y$. Dans un trièdre de référence de sens direct (fig. 1) le tire-bouchon avance dans le sens des $z$ positifs et dans un trièdre de sens inverse (fig. 2) il avance dans le sens des $z$ négatifs. Aucune rotation ne permet de faire coïncider ces deux trièdres qui se distinguent l’un de l’autre comme la main gauche se distingue de la main droite. Mais on transforme un trièdre de sens direct en trièdre de sens inverse en inversant le sens d’un seul ou des trois axes de coordonnées. Dans ce dernier cas on effectue une inversion des axes de coordonnées ou encore une réflexion par rapport à l’origine. L’image dans un miroir plan d’un trièdre de sens direct est un trièdre de sens inverse. En physique on n’utilise que le trièdre de référence direct.

3. Les coordonnées $x$, $y$, $z$ servant à définir la position d’un point dans le référentiel choisi sont des nombres. La détermination quantitative des coordonnées d’un point implique, comme d’ailleurs de n’importe quelle grandeur physique, la définition du principe du procédé de leur mesure. Il importe de souligner qu’il s’agit bien du principe de la méthode de mesure et non du procédé pratique de la détermination de la valeur de la grandeur considérée. Ces méthodes de mesure ne doivent que dévoiler la signification ou mieux le principe de détermination de $x$, $y$, $z$ ou des nombres servant à caractériser quantitativement toute autre grandeur physique. Aussi nous est-il loisible de supposer que les procédés de mesure utilisés sont parfaits et les résultats ainsi obtenus sont d’une précision absolue. Les coordonnées $x$, $y$, $z$ sont des longueurs, de sorte que leur détermination se ramène à des mesures des longueurs, donc à des nombres caractérisant les longueurs. En parlant de la mesure des longueurs, nous avons en vue l’opération suivante. Par convention on adopte pour étalon de longueur une certaine tige rigide dont la longueur est prise pour une unité de longueur. Pour mesurer la dimension d’un corps, nous cherchons le nombre qui indique de combien de fois cette dimension du corps est plus grande que notre tige étalon. C’est ce nombre que l’on appelle dimension du corps le long d’une direction donnée. Si ce nombre n’est pas entier, on devra diviser préalablement notre tige étalon en parties plus petites : dixièmes, centièmes, etc., de l’unité de longueur. Nous pouvons utiliser maintenant l’unité étalon munie de ses subdivisions pour caractériser n’importe quelle dimension par un nombre décimal ou par un nombre entier suivi de décimales.

4. Le procédé consistant à déterminer la dimension d’un corps par application à celui-ci de l’étalon ou de ses subdivisions constitue la mesure directe. Or, il n’est pas toujours possible d’effectuer une mesure directe ; on ne peut le faire lorsqu’il s’agit de déterminer la distance jusqu’à un corps extrêmement éloigné, par exemple les planètes, les étoiles et les autres objets célestes. La mesure directe est tout aussi irréalisable pour les très petites dimensions auxquelles sont confrontés les physiciens étudiant les atomes, les noyaux atomiques ou les particules élémentaires. On devra alors avoir recours à des méthodes de mesure indirectes. La pertinence de ces méthodes doit être vérifiée par des méthodes directes (lorsque celles-ci sont possibles). Mais lorsque les méthodes directes cessent d’être utilisables, ne subsistent que les méthodes indirectes. Dans toute méthode indirecte les opérations de mesure directes, à l’aide desquelles fut initialement introduit le concept quantitatif de longueur, prennent un caractère abstrait ; aussi ce sont les méthodes indirectes qui assument alors le rôle des opérations de mesure fondamentales susceptibles de dégager la signification des longueurs elles-mêmes ou plus exactement des nombres caractérisant les longueurs mesurées.

Un exemple de méthode de mesure indirecte est la triangulation qui est le procédé généralement utilisé pour déterminer les distances jusqu’à des objets éloignés. Par une mesure directe on détermine la longueur de la « base » $A B$ (fig. 3) ; en se plaçant aux extrémités de cette base $A B$ on effectue des pointages vers l’objet éloigné $C$, ce qui a pour but de mesurer les angles $\alpha$ et $\beta$ que forment les droites $A C$ et $B C$ avec la base $A B$. Disposant de ces données numériques, la distance inconnue à laquelle se trouve le point $C$ peut être calculée par une construction ou par un calcul géométrique. Si la base $A B$ choisie est trop grande pour que sa longueur puisse être déterminée par une mesure directe, on commencera par adopter une base plus courte, mesurer sa longueur puis déterminer la longueur de la base $A B$ par le procédé de la triangulation. En principe cela ne change rien à notre affaire. Il est beaucoup plus important d’établir les fondements théoriques de la méthode considérée. Celle-ci postule que les côtés du triangle $A B C$ sont des droites satisfaisant aux axiomes de la géométrie d’Euclide. Mais on doit encore établir quels sont les constituants matériels délimitant ce triangle ; ce sont les rayons lumineux issus de l’objet $C$ et parvenant aux points $A$ et $B$. On en conclut que notre méthode repose sur l’hypothèse que les rayons lumineux sont rigoureusement rectilignes et satisfont donc aux mêmes axiomes de la géométrie d’Euclide que les droites géométriques. Cette hypothèse n’est nullement évidente à priori et le seul moyen de la confirmer ou de l’infirmer est l’expérience. Ce que l’on a en vue en faisant cette hypothèse c’est la propagation des rayons lumineux dans le vide et non pas dans l’atmosphère terrestre où ils s’incurvent effectivement par suite des variations locales de l’indice de réfraction de l’air. Il est possible de tenir compte de ces écarts à la propagation rectiligne des rayons lumineux et on le fait dans les mesures de haute précision.

Une autre question vient encore à l’esprit : comment peut-on s’assurer que la géométrie d’Euclide est applicable dans des circonstances réelles ? La méthode directe que l’on peut utiliser pour répondre à cette question consiste à soumettre à une vérification expérimentale les corollaires des axiomes de la géométrie euclidienne. Un des corollaires est le théorème affirmant que la somme des angles internes d’un triangle est égale à 180°. Le célèbre mathématicien Gauss (1777-1855) s’est attaché, de 1821 à 1823, à mesurer avec précision les angles internes d’un triangle formé par trois pics de montagne. Les longueurs des côtés de ce triangle étaient d’environ $\pu{100 km}$. Il en conclut qu’aux erreurs de mesure près ce théorème se trouvait vérifié. Cette méthode ne peut être utilisée à l’échelle du système solaire et à fortiori à plus grande échelle puisque, toutes les mesures s’effectuant sur Terre, on ne peut mesurer directement les trois angles internes d’un triangle dont les sommets se trouvent, à part la Terre, sur deux planètes ou deux étoiles quelconques. Dans ce cas nous concluons à l’applicabilité de la géométrie euclidienne en nous fondant sur des données indirectes ― la concordance des différents résultats obtenus par la mise en oeuvre de cette géométrie. On peut, par exemple, prédéterminer par le calcul le mouvement des planètes du système solaire pour plusieurs années et vérifier ensuite la validité des résultats. Au cas où les résultats du calcul seraient erronés, une des raisons en pourrait être l’inadéquation de la géométrie d’Euclide à des espaces d’étendue comparable à celle du système solaire. Par contre, l’accord entre calcul et observation (ce qui est le cas effectivement) témoigne de ce qu’il n’y a pas de raison de mettre en doute la validité de la géométrie euclidienne. Sans plus nous attarder sur cette question, nous noterons simplement que cette géométrie ne laisse pas apparaître d’écarts notables dans des régions de l’espace de la taille de notre Galaxie ($\sim 10^{20} \text{ m}$) ou même de celle de la Métagalaxie qui est la région de l’Univers que l’on arrive à observer à l’aide des plus puissants télescopes ($\sim 10^{26} \text{ m}$). De même il n’y a aucune raison de mettre en doute la géométrie euclidienne lorsqu’il s’agit d’étendues subatomiques, de l’ordre de $10^{- 15} \text{ m}$.

Dans les mesures de la position des corps lointains les rayons lumineux assument la fonction d’objets matériels constituant le référentiel réel. Comme on ne peut construire des tiges indéfiniment longues, elles ne peuvent servir à marquer les axes de coordonnées s’étendant loin dans l’espace. Ce rôle est alors assumé par les rayons lumineux qui prolongent au loin les axes de coordonnées initialement réalisés en tiges rigides.

5. Ces considérations appellent à faire quelques remarques sur les liens entre physique et mathématiques. Les mathématiques jouent un rôle tellement important en physique que sans mathématiques celle-ci est impensable. Il importe cependant de situer correctement la place des mathématiques en physique ; cette question nous semble à tel point importante que nous y reviendrons à de nombreuses occasions. Les mathématiques pures ont affaire à des objets et à des notions abstraits qui sont régis par une axiomatique. La seule condition à laquelle doivent satisfaire les notions et les axiomes des mathématiques est celle d’être logiquement consistants. Les mathématiques pures tirent tous leurs résultats de ces axiomes à l’aide de raisonnements logiques fondés sur les règles de la logique formelle. Il est bien évident que le contenu de ces résultats ne saurait dépasser le cadre des liens logiques existant entre les divers objets et notions des mathématiques pures. On peut dire que les mathématiques pures constituent une discipline logiquement cohérente. Formant un système clos où tout est logiquement cohérent, les mathématiques ont leur esthétique propre à laquelle les mathématiciens sont sensibles.

On ne doit cependant pas perdre de vue que les mathématiques pures, formant de par leur rigueur même un domaine fermé sur lui-même, sont détachées du monde réel et ne peuvent être directement mises en œuvre dans d’autres sciences ou dans la pratique humaine. Afin que les mathématiques puissent constituer un puissant appareil d’étude et de description des phénomènes naturels, il faut établir des liens entre les objets et notions abstraits des mathématiques d’une part et les objets et les phénomènes naturels d’autre part. En physique les objets et les notions mathématiques doivent figurer non comme des catégories purement logiques, mais comme des abstractions d’objets réels ou de processus naturels. Ainsi le point est l’abstraction d’un corps physique de faible étendue, la ligne droite est l’abstraction d’une tige rigide de faible section ou celle d’un faisceau lumineux se propageant dans un milieu homogène. La question de la légitimité des mathématiques se réduit a celle de ses axiomes. Or la légitimité des axiomes ne peut être établie que par l’expérience.

Il est vrai qu’on ne peut soumettre à l’expérimentation les objets mathématiques eux-mêmes, puisque ce sont des objets idéalisés que l’on ne trouve pas dans la Nature. Toute expérience porte sur des objets réels. La rigueur mathématique dont sont tellement satisfaits, et à juste titre, les mathématiciens, doit être interprétée comme la concordance logique des conclusions auxquelles on parvient et non comme une justification de ses axiomes.

La seule rigueur mathématique ne peut suffire à la physique ou toute autre science ayant affaire à des objets réels et a des phénomènes naturels. Aucune étude théorique, même si elle est mathématiquement rigoureuse, ne peut être considérée comme étant physiquement rigoureuse, et ce pour les raisons suivantes. Premièrement, toute recherche ou étude se fonde sur certaines lois dont la validité est en dernière instance toujours vérifiée par l’expérience ; or toute expérimentation et toute mesure physique sont entachées d’erreurs et ne sont effectuées qu’avec un certain degré de précision. Au-delà du degré de précision atteint dans une expérience, la loi physique concernée peut cesser d’être juste. Deuxièmement, tout objet physique réel possède une infinité de déterminations. Il est impossible d’expliciter toutes les déterminations d’un objet réel, d’une part parce qu’elles sont en nombre infini, et d’autre part, parce qu’on les ignore. En construisant ses théories, le physicien substitue aux objets réels leurs modèles idéalisés qui reposent sur un nombre restreint de déterminations explicites et essentielles pour traiter le problème étudié. Seule l’expérimentation permet de décider du choix des déterminations faites pour passer de l’objet réel à son modèle. C’est toujours l’expérience qui tranche la question de la justesse d’une théorie physique et des limites de sa validité. Toute mise en œuvre d’une loi physique en dehors de son domaine de validité et d’un modèle ne spécifiant pas l’ensemble des déterminations de l’objet réel qui importent pour une étude donnée, conduit à des vices théoriques qui ne sauraient être corrigés par des raisonnements et des calculs mathématiques, aussi rigoureux soient-ils.

Cette assertion importe aussi pour la pratique. Il est bien évident qu’une fois le modèle construit, il n’est pas interdit d’effectuer les calculs ultérieurs avec toute la rigueur mathématique, même si les lois physiques pertinentes ne sont qu’approximatives. Mais bien souvent le calcul rigoureux est trop encombrant et trop ardu pour être effectué. Le degré de précision auquel il tend est déjà dévalorisé par le caractère approximatif des lois physiques et par l’imperfection du modèle théorique servant de base aux calculs. Dans cette situation on peut et on doit même avoir recours au calcul approché. Un calcul approché est tout aussi valable qu’un calcul dit exact, à condition que les erreurs qu’il introduit ne dépassent pas les erreurs dues aux imperfections des lois physiques et des modèles théoriques.

Nombre de notions et de découvertes que les mathématiciens estiment primordiales sont dénuées de sens lorsqu’il s’agit de les appliquer à des objets réels. Un exemple en est le nombre irrationnel. Dire qu’une grandeur physique a une valeur irrationnelle est un contresens puisqu’une telle assertion ne peut être vérifiée. Les nombres rationnels suffisent amplement pour représenter les résultats des mesures avec toute la précision requise. En outre, la notion même de grandeur physique perd toute sa signification lorsqu’on impose que sa mesure soit effectuée à un degré de précision injustifié. Ainsi, par exemple, on ne saura plus de quoi il s’agit si on mesure la longueur d’une tige rigide, à un atome près. Une précision illimitée de la mesure des longueurs est en principe utile pour les segments de droite considérés en géométrie mais ne l’est plus pour les corps réels caractérisés par une structure atomique.

§2. Description cinématique du mouvement. Le concept du point matériel

§3. Vitesse et accélération dans le cas du mouvement rectiligne. Vitesse et accélération angulaires

$$ \dot{x} = \dif{x} = \lim_{\Delta t \to 0} \dfrac{\Delta x}{\Delta t} \hspace{1cm} \text{(3.4)} $$

§4. Vitesse et accélération dans le mouvement curviligne

§5. Limites de validité de la description classique du mouvement

En mécanique classique on caractérise, à tout instant, l’état de mouvement d’une particule par sa position (coordonnée $x$ pour le mouvement rectiligne) et par sa vitesse . À la place de la vitesse on peut utiliser également l’impulsion $p=mv$, grandeur égale au produit de la masse de la particule $m$ par sa vitesse1. L’image d’une particule élémentaire est le point géométrique qui décrit dans le temps une trajectoire continue. On démontre en mécanique quantique que ce procédé de description du mouvement a en principe une application limitée. Il est encore prématuré de s’engager dans une discussion de cette question, mais on peut donner ici un exposé succinct du résultat fondamental auquel conduit la mécanique quantique, sans le justifier d’aucune manière.
Selon la mécanique quantique, l’état d’une particule ne peut être caractérisé à aucun moment par les valeurs précises de sa coordonnée et de son impulsion instantanées. Si on connaît, pour un certain état de la particule, la valeur de sa coordonnée avec une incertitude $\delta x$ et celle de son impulsion avec une incertitude $\delta p$, il est impossible de rendre simultanément ces deux quantités aussi petites que l’on veut, car elles sont liées l’une à l’autre par la relation $$ \delta x \cdot \delta p \geqslant h \hspace{1cm} \text{(5.1)} $$ où $h$ est une constante universelle appelée constante de Planck (1858-1947). Cette constante joue un rôle de premier plan dans tous les phénomènes quantiques ; sa valeur numérique est $$ h = \pu{6,63e-27 erg} \hspace{1cm} \text{(5.2)} $$ La relation (5.1) exprime le principe d’incertitude de Heisenberg (né en 1901) qui fixe une limite de principe à la précision d’une mesure simultanée de la coordonnée et de l’impulsion d’une particule ; cette limite ne peut être dépassée par aucun perfectionnement des appareils et des procédés de mesure. Il ne s’agit pas ici des erreurs de mesure, car c’est une manifestation de la nature des particules réelles dont les caractéristiques instantanées de mouvement ne se laissent pas déterminer par le procédé classique, c’est-à-dire par des valeurs exactes de leurs coordonnées et impulsions. Les particules ont un comportement plus compliqué que celui des points matériels de la mécanique classique. L’image classique du mouvement suivant des trajectoires continues ne reflète qu’approximativement les lois de la Nature. Les limites de validité de la mécanique classique sont fixées par la relation d’incertitude (5.1) selon laquelle l’état de mouvement d’une particule ne peut être décrit à un instant donné par des valeurs parfaitement exactes de sa coordonnée et de sa vitesse. Les indéterminations de ces grandeurs doivent satisfaire à la condition $$ \delta x \cdot m\, \delta v \geqslant h \hspace{1cm} \text{(5.3)} $$ Pour des corps macroscopiques le procédé de description classique ne saurait être mis en doute. Supposons, par exemple, qu’il s’agisse du mouvement d’une bille ayant une masse $m=\pu{1 g}$. Dans les conditions usuelles la position de la bille peut être déterminée à $\pu{0,1}$ ou $\pu{0,01 mm}$ près. Plus généralement il serait dénué de sens de vouloir préciser la position de la bille avec une précision inférieure à la dimension de l’atome. On posera donc $\delta x = \pu{10^{-8} cm}$. L’application de la relation d’incertitude (5.1) donne alors $$ \delta v \geqslant \dfrac{\pu{6,63e-27}}{10^{-8}} \approx \pu{10^{-18} cm/s} $$ Comme les quantités $\delta x$ et $\delta v$ sont toutes deux et simultanément très petites, on en conclut que le procédé classique est pratiquement utilisable pour la description du mouvement des corps macroscopiques. Il en va tout autrement avec les phénomènes atomiques qui impliquent des particules de très petites masses et se produisent dans de très petites régions de l’espace. Considérons, par exemple, le mouvement de l’électron dans l’atome d’hydrogène. La masse de l’électron est $m=\pu{9,11e-28 g}$. L’erreur commise dans la détermination de la position de l’électron ne doit pas être supérieure à la dimension de l’atome, donc on doit avoir $\delta x < \pu{10^{-8} cm}$. On tire alors de la relation d’incertitude $$ \delta v > \dfrac{h}{m\, \delta x} = \dfrac{\pu{6,63e-27}}{\pu{9,11e-28} \times 10^{-8}} \approx \pu{7e8 cm/s} $$ L’incertitude sur la valeur de la vitesse est déjà plus grande que la vitesse de l’électron au sein de l’atome, qui est égale à $\pu{10^8 cm/s}$. Dans cette situation la description classique du mouvement est dénuée de sens.

§6. Sur la signification de la dérivée et de l’intégrale en physique

1. Le procédé de passage à la limite (3.4) qui sert à définir la dérivée porte le nom de dérivation. La notion de dérivée est d’un emploi courant en mécanique et dans les autres domaines de la physique. C’est précisément l’étude du problème de la détermination de la vitesse d’un mouvement arbitraire qui a conduit Newton à définir la notion de dérivée ; Newton et Leibniz (1646-1716) sont les fondateurs du calcul différentiel et intégral. La notation $\dif{x}$ de la dérivée fut introduite par Leibniz. En mathématiques le symbole $\dif{x}$ doit être pris comme une entité et non comme le rapport de deux accroissements « infiniment petits » $dx$ et $dt$. La signification de la dérivée $\dot{x} = \dif{x}$ est définie par la relation (3.4). Pour arriver à la dérivée on commence par former le rapport des accroissements finis $d\frac{\Delta x}{\Delta t}$, $\Delta t$ étant différent de zéro. Ensuite, mettant en œuvre des transformations convenables de ce rapport ou tout autre moyen, on doit déterminer la limite de ce rapport. Mais on ne peut en aucun cas concevoir qu’on effectue d’abord un passage à la limite de $\Delta x$ et de $\Delta t$ aux quantités « infiniment petites » $dx$ et $dt$ et qu’après on forme le rapport $\dif{x}$ de ces différentielles. Néanmoins c’est cette approche qui était en vigueur tout au début du développement du calcul différentiel ; notons qu’elle ne peut satisfaire à la condition de clarté des concepts mathématiques et est complètement dénuée de sens, bien que l’on puisse déterminer les différentielles $dx$ et $dt$ de manière que leur rapport devienne égal à la dérivée $\dot{x}$. En mathématiques on définit la différentielle $dt$ comme un accroissement arbitraire de la variable $t$, et la différentielle $dx$ de la fonction $x(t)$ par la relation $dx = \dot{x}\,dt$. Avec cette dernière définition l’assertion que la dérivée est le rapport de deux quantités finies $dx$ et $dt$ devient évidente, puisque c’est une autre manière d’exprimer une notion. La notion primaire est toujours celle de dérivée et non de la différentielle.

Néanmoins dans les applications des mathématiques à la physique, on doit tenir compte de ce que la connaissance des grandeurs physiques résulte en fin de compte de mesures concrètes qui sont toutes entachées d’erreurs et perturbent l’évolution naturelle des phénomènes. C’est cette circonstance qui, en toute rigueur, ne permet pas de mettre en œuvre le passage à la limite $\Delta t \rightarrow 0$, $\Delta x \rightarrow 0$, qui en mathématiques conduit à la définition de la dérivée. Supposons, par exemple, que l’on cherche à mesurer la vitesse dans l’air d’une balle tirée par une arme à feu. Il s’agit de mesurer la distance $\Delta x$ que parcourt la balle dans l’intervalle de temps $\Delta t$. Si on prend un intervalle de temps $\Delta t$ trop long, la vitesse de la balle peut diminuer notablement du fait de la résistance de l’air, et le rapport $\dfrac{\Delta x}{\Delta t}$ peut avoir une valeur plus petite que la vitesse réelle de la balle à l’instant considéré. Si on diminue $\Delta t$ on remarquera qu’à partir d’une certaine valeur, le rapport $\dfrac{\Delta x}{\Delta t}$ reste constant, aux erreurs expérimentales près, abstraction faite des erreurs fortuites. Il est inutile de réduire davantage $\Delta t$ car alors le rapport recommencera à varier et ce d’une façon de plus en plus irrégulière ; ce rapport prendra toutes sortes de valeurs, grandes ou très petites. Cela tient à ce que l’erreur relative de toute mesure est d’autant plus grande que la grandeur mesurée est petite. Il est, par exemple, assez facile de mesurer une longueur de $\pu{1 m}$ à $\pu{1 mm}$ près, donc avec une précision relative de 1/1000. Mais mesurer avec cette même précision relative une longueur de $\pu{1 mm}$ est beaucoup plus difficile. Plus $\Delta t$ est petit, plus l’erreur commise dans le calcul de $\dfrac{\Delta x}{\Delta t}$ est grande. Même si on diminuait indéfiniment $\Delta t$, les valeurs calculées de $\dfrac{\Delta x}{\Delta t}$ ne tendraient pas vers une limite déterminée. Ces remarques montrent que dans notre exemple, du fait des erreurs de mesure, on ne peut réaliser le passage à la limite $\Delta t \rightarrow 0$ dans son sens mathématique. Partant des résultats de mesures physiques, on ne peut calculer la vitesse vraie ou la dérivée $v = \dot{x}$ que de façon approchée, en l’identifiant au rapport des accroissements finis $\dfrac{\Delta x}{\Delta t}$. L’intervalle de temps $\Delta t$ optimum, pour lequel la précision du calcul de la vitesse vraie serait la meilleure, ne se laisse déterminer qu’en tenant compte des conditions concrètes. Les accroissements petits mais finis $\Delta x$ et $\Delta t$, dont le rapport fournit avec une approximation suffisante la valeur de la dérivée $\dot{x}$, sont pour le physicien des infiniment petits ou plus précisément des quantités physiquement infiniment petites. Le physicien les désigne par $dx$ et $dt$ et les traite comme des différentielles du mathématicien. Ainsi, en physique, la dérivée apparaît comme le rapport des accroissements finis et petits de la variable et de la fonction et non comme la limite de ce rapport.

Ce ne sont pas seulement les erreurs de mesures qui s’opposent à ce que soit réalisé dans la pratique le passage à la vraie limite mathématique ; il se peut aussi que ce passage à la limite soit impossible par principe, pour des raisons inhérentes à la nature des grandeurs ou des lois de la physique. Ainsi, par exemple, un passage à la limite ne peut être rigoureux en vertu de la relation d’incertitude (5.1). Si, en effet, l’intervalle de temps $\Delta t$ tend vers zéro, le chemin parcouru $\Delta x$ tendra aussi vers zéro. L’indétermination $\delta x$ dans la mesure du chemin parcouru ne doit pas dépasser $\Delta x$, sinon le calcul de la vitesse moyenne par application de la formule $v_{\text{moy}} = \dfrac{\Delta x}{\Delta t}$ serait dénué de sens. Ainsi lorsque $\Delta t \rightarrow 0$ l’indétermination sur la coordonnée $\delta x$ doit tendre aussi vers zéro. Mais selon la relation (5.1) l’indétermination sur la vitesse $\delta v$ doit tendre alors vers l’infini, ce qui signifie que l’erreur que nous commettons en appliquant la formule (3.3) pour calculer la vitesse $v$ est infiniment grande comparativement à la vitesse du mobile $v$.

6. Ces considérations s’appliquent non seulement à la dérivée de la coordonnée, mais aussi aux dérivées de toutes les autres grandeurs physiques. Soit à déterminer, par exemple, la densité d’une substance en un point de l’espace. Pour ce faire nous pouvons procéder comme suit. Entourons le point choisi par une surface fermée délimitant un volume $\Delta V$. Soit $\Delta m$ la masse de substance contenue dans ce volume. Le rapport

$$\rho_{\text{moy}} = \dfrac{\Delta m}{\Delta V}$$

est appelé densité moyenne de la substance dans le volume $\Delta V$. Comme la densité moyenne dépend, en général, de la dimension et de la forme du volume $\Delta V$, on introduit la notion de densité vraie de la substance que l’on détermine en faisant tendre $\Delta V$ vers zéro. On dit alors que la densité moyenne $\rho_{\text{moy}}$ tend vers une limite déterminée $\rho$ qui est la densité vraie de la substance au point considéré de l’espace :

$$ \rho = \lim_{\Delta V \rightarrow 0}\, \dfrac{\Delta m}{\Delta V} = \dfrac{\text{d}m}{\text{d}V} \hspace{1cm} \text{(6.1)} $$

La densité vraie est donc définie comme la dérivée de la masse par rapport au volume. Elle ne dépend que de la position du point concerné. Si cependant on voulait appliquer à la formule (6.1) le concept de passage à la limite dans le sens mathématique rigoureux, on ne pourrait le faire du fait de la structure atomique de la matière. À mesure que l’on ferait décroître le volume, il arriverait un moment où ce volume n’engloberait qu’un petit nombre de molécules, une par exemple, ou même aucune. D’autre part, comme les molécules sont animées de mouvements d’agitation thermique désordonnés, certaines molécules s’échappent du volume $\Delta V$, d’autres y pénètrent. Par suite, le nombre de molécules contenues dans un petit volume $\Delta V$ invariable varie rapidement et de manière désordonnée. Aussi lorsqu’on diminue le volume $\Delta V$, le rapport $\dfrac{\Delta m}{\Delta V}$ subira des variations rapides entre la valeur zéro, si le volume $\Delta V$ ne contient aucune molécule, et une très grande valeur si ce même volume contient une ou plusieurs molécules. Il est clair que si on diminue indéfiniment le volume $\Delta V$, le rapport $\dfrac{\Delta m}{\Delta V}$ ne tendra pas vers une limite bien déterminée. On en conclut que pour déterminer la densité vraie d’une substance, on ne doit pas rendre les quantités $\Delta m$ et $\Delta V$ infiniment petites. Le volume $\Delta V$ doit être macroscopique et contenir donc un très grand nombre de molécules, tout en étant suffisamment petit pour que l’on puisse considérer la substance qu’il renferme comme macroscopiquement homogène. Si on satisfait à ces deux conditions, le rapport $\dfrac{\Delta m}{\Delta V}$ prendra une valeur bien déterminée ne changeant pas si on diminue encore le volume macroscopique $\Delta V$. C’est ce rapport que nous assimilons en physique à la dérivée de la masse $m$ par rapport au volume $V$. Les quantités $\Delta m$ et $\Delta V$ qui satisfont aux deux conditions ci-dessus sont considérées en physique comme des quantités physiquement infiniment petites, et le physicien les assimile aux différentielles du mathématicien. Du point de vue des mathématiques, cela revient à substituer au corps réel un modèle idéalisé avec une répartition continue de la masse.

7. La situation est exactement la même en ce qui concerne la notion d’intégrale. En mathématiques l’intégrale est définie par le passage à la limite

$$\int_{a}^{b}{f\left( x \right)\ dx = \lim_{\Delta x_{i} \rightarrow 0}{\sum_{}^{}{f\left( x_{i} \right)\text{\ Δ}x_{i}}}}$$

L’intervalle numérique $(a, b)$ est divisé en $n$ intervalles plus petits $\Delta x_{1}, \Delta x_{2}, \ldots, \Delta x_{n}$. La longueur de chaque intervalle $\Delta x_{i}$ est multipliée par la valeur que prend la fonction $f(x)$ en un point quelconque situé à l’intérieur du petit intervalle des valeurs de la variable. Ensuite on forme la somme $\sum_{}^{}{f\left( x_{i} \right)\, \Delta x_{i}}$ et on passe à la limite $n \rightarrow \infty$ en admettant que la longueur de chacun des petits intervalles tend vers zéro. Mais en physique, par suite d’erreurs de mesure ou de questions de principe (telles que la nature atomique de la matière), la subdivision de l’intervalle $(a, b)$ en des intervalles plus petits qu’une certaine longueur (dépendant de conditions concrètes) est dénuée de sens. Il s’ensuit que le passage à la limite $\Delta x_{i} \rightarrow 0$ ne peut être entièrement réalisé et doit s’arrêter à une certaine valeur. Ainsi, en physique, l’intégrale apparaît non comme la limite d’une somme, mais comme la somme d’un grand nombre de termes suffisamment petits $\sum_{}^{}{f\left( x_{i} \right)\ \Delta x_{i}}$.

§7. Remarques sur les vecteurs et la composition des mouvements

§8. Degrés de liberté et coordonnées généralisée


  1. Nous supposons que le lecteur est déjà familier avec le concept de masse. Les concepts de masse et d’impulsion sont interprétés en détail au §10↩︎