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La mécanique de Newton est la description du mouvement en termes
de masse et de vitesse (quantité de mouvement
en réalité). C'était le formalisme théorique
incontesté aux 18ème et 19ème
siècles. Mais au cours du 19ème, une
alternative puissante, basée sur la notion d'énergie, a
commencé à se développer et l'une des grandes
réalisations de ce siècle a été la
formulation de la loi de conservation de l'énergie.
Au
20ème siècle, après la formulation de la
théorie de la Relativité Restreinte par A. Einstein et le
travail de Amélie Noether, il est apparu que la quantité
de mouvement et l'énergie sont deux grandeurs
complémentaires enracinées dans la nature
même de l'espace et du temps.
L'étude de l'énergie mécanique est abordée d'abord en regardant comment elle est transférée par le travail et ensuite comment elle se manifeste sous deux formes fondamentales : l'énergie cinétique et l'énergie potentielle d'interaction. L'accent est donc mis, dans un premier temps, sur la mécanique mais l'énergie est omniprésente dans toutes les branches de la physique, comme nous le verrons dans un second temps.
Au cours des siècles, le mot énergie a eu des significations différentes. L'usage non-technique dérive des mots grecs en (qui veut dire intérieur) et ergon (qui veut dire travail). On utilise donc le mot « énergie » pour dire la capacité à faire du travail. Ceci a constitué le sens courant de ce mot pendant au moins 1 500 ans (Cette vision est très trompeuse puisqu'elle confond les notions d'énergie et de travail !). Galilée a utilisé, en 1638, le mot energia, sans jamais le définir. C'est seulement au cours des 200 dernières années que la notion d'énergie a pris une signification scientifique, bien que l'on ne puisse pas la définir d'une façon complètement satisfaisante.
Il est important de réaliser que, dans la physique d'aujourd'hui, nous n'avons aucune connaissance de ce que l'énergie est. |
R.P. Feynman
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Prix Nobel de Physique, 1965
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En termes très généraux, l'énergie décrit l'état d'un système soumis à l'action des quatre interactions fondamentales. Elle est une propriété de toute matière et elle est observée indirectement par des variations de vitesse, de masse, de position, … La variation de l'énergie d'un système, qui est tout ce que l'on peut déterminer expérimentalement, est une mesure du changement physique de ce système. La force est l'agent du changement et l'énergie est une mesure du changement. Parce qu'un système peut évoluer de manières différentes sous l'action de forces différentes, il y a plusieurs manifestation distinctes de l'énergie.
Nous achetons de l'énergie électrique emballée dans des piles ou produite et distribuée par des sociétés d'électricité. Nous utilisons l'énergie chimique de la nourriture pour vivre et celle des carburants pour nos besoins domestiques et de transport. Les bandes de caoutchouc, les ressorts et les ligaments emmagasinent de l'énergie élastique. Les gouttes de pluie tombent parce qu'elles ont de l'énergie gravitationnelle. Nous nous chauffons et nous faisons la cuisine avec de l'énergie thermique. Nous pouvons produire de l'électricité ou bien tuer nos semblables en faisant exploser des bombes, utilisant de l'énergie nucléaire. Vous ne vous précipitez pas devant un camion qui s'approche, car il risque de vous écraser avec son énergie cinétique. Le Soleil inonde la Terre de son énergie de rayonnement.
La propriété la plus importante de l'énergie est qu'elle est transférée d'un domaine d'interaction à un autre, de façon que l'énergie totale reste inchangée. Ainsi, l'énergie thermique peut être transformée en énergie électrique, une partie de celle-ci peut être transformée en lumière, puis de nouveau en énergie thermique ; mais la quantité d'énergie totale est toujours la même. On dit que l'énergie se conserve.
L'énergie est une grandeur scalaire associée à toutes les « choses » qui existent, allant des particules minuscules sans masse aux galaxies immenses et tourbillonnantes. En observant le changement de comportement de la matière, on lui associe une forme d'énergie ou une autre. L'énergie n'est pas une entité en soi ; aucune « chose » n'est de l'énergie pure.
Comme nous ne pouvons pas donner une définition générale de l'énergie, le principe de conservation de l'énergie veut dire simplement qu'il y a quelque chose qui reste constant. Quelles que soient les nouvelles notions que des expériences futures peuvent nous donner, nous savons d'avance qu'il y a quelque chose qui reste constant et que nous pourrons appeler énergie. |
H. Poincaré (1854–1912)
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Les Grecs anciens avaient, semble-t-il, une vague notion du travail ; elle émerge de leur explication de la façon de soulever un grand poids en exerçant une petite force sur un levier. Aux débuts du 17ème siècle, Galilée s'approcha en tâtonnant de l'idée essentielle. Il étudia l'enfoncement de pieux et reconnut que la combinaison du poids du marteau et de la distance de laquelle il tombait déterminait son efficacité. La distance et la force sont liées de façon cruciale. Newton, dans son ouvrage Principia, n'a jamais mentionné le mot énergie, mais il est clair qu'il avait un sens intuitif très fort de ce concept.
Le produit de la force et de la distance sur laquelle elle agit, mesure une variation de l'énergie. Quand cette idée a été enfin formulée par G. Coriolis, en 1829, il l'a appelée travail. Ce mot est encore employé, bien que les expressions variation mécanique de l'énergie ou transfert mécanique de l'énergie seraient plus adaptés. Le travail est la variation de l'énergie d'un système, due à l'application d'une force, agissant sur une distance.
Au cœur du concept de travail est la notion de mouvement contre une résistance. La résistance peut être produite par la pesanteur, un frottement, … Le travail peut être effectué sur un corps pour le mettre en mouvement, le garder en mouvement ou changer son état de mouvement. Le travail est effectué pour surmonter la résistance d'une certaine force, pour déplacer le corps contre cette force.
L'unité SI de travail est le newton-mètre. Pour simplifier et en l'honneur à J.P. Joule, le travail effectué par une force de 1 newton déplaçant un corps de 1 mètre est appelé 1 joule, ou :
C'est dans l'industrie, au début de la Révolution Industrielle, que la notion de puissance est devenue essentielle et mesurable. La puissance est, de façon grossière, la cadence de l'énergie transformée :
Plus généralement, la puissance est la cadence à laquelle l'énergie est transformée d'une forme à une autre, ou transférée d'un système à un autre. Un moteur, qui exécute le même travail qu'un autre mais en moitié moins de temps est deux fois plus puissant.
Si l'intervalle de temps est fini, nous parlerons, dans ce cours, de puissance moyenne, ou :
L'idée d'unifier les mesures de puissance, en utilisant celle fournie par un cheval était répandue avant que J. Watt la définisse en 1783. Watt détermina qu'un cheval de trait pouvait exercer une force d'environ 667 N en marchant à une vitesse de 4 km/h. Ce taux de travail est de 745,7 J/s, qu'il appela 1 cheval-vapeur (en anglais « horse power », hp). Bien que cette unité soit démodée, elle est toujours utilisée aux États-Unis. Dans le système métrique, le cheval-vapeur (ch), défini à partir d'autres unités démodées, vaut 736 W.
Dans le système SI, l'unité de puissance est le watt (W), égal à un travail de 1 joule effectué en 1 seconde :
Cette unité est familière, parce que la puissance de presque tous les appareils électroménagers est estimée en watts ; c'est l'énergie nécessaire pour les faire fonctionner pendant une seconde. Comme le watt est une petite puissance, on utilise souvent le kilowatt. Donc
Quantité | Équivalence en watt |
1 kilocalorie par heure | 1,16 W |
1 kilowatt-heure par jour | 41,7 W |
1 kilocalorie par minute | 69,77 W |
1 million de barils de pétrole par jour | 73 GW |
Une personne en bonne condition physique peut fournir une puissance de 1/10 ch, soit 75 W. En travaillant à un rythme régulier, le corps humain développe une puissance proportionnelle à son taux de consommation d'oxygène. Pour une puissance de 75 W, il consomme environ 1 litre par minute. Un athlète peut consommer jusqu'à 5,5 litres par minute et développer une puissance continue proche de 400 W. La limite de l'effort que peut exercer un homme, sur une période d'une minute, est environ le double de cette puissance. Sur des intervalles de temps très courts (par exemple le temps de sauter ou de lancer un corps), une puissance beaucoup plus élevée peut être atteinte. Quand les muscles sont reposés, ils ont des réserves d'oxygène qui leur permettent d'alimenter des bouffées de puissance de 500 W pendant une minute et même de plusieurs kilowatts sur une fraction de seconde. Mais une fois ces réserves épuisées, il faut un certain temps pour les reconstituer.
Huygens ne s'est jamais intéressé à l'idée que la grandeur fondamentale du mouvement est la quantité de mouvement. Néanmoins, ce point de vue était largement partagé, au 17ème siècle, par les adeptes de R. Descartes. Pour avoir un sens, la quantité de mouvement doit avoir une direction. Une bombe au repos peut exploser en deux morceaux, qui s'éloignent rapidement l'un de l'autre, dans deux directions opposées ; mais la quantité de mouvement totale du système reste nulle. C'est la loi de conservation de la quantité de mouvement. Mais comment cette quantité, qui reste nulle alors que les deux morceaux se déplacent si rapidement, pourrait-elle être une grandeur essentielle du mouvement ?
Huygens ne se sentait pas à l'aise avec cette grandeur ; alors il a cherché une grandeur différente, qui soit indépendante de la direction et qui ne s'annule qu'à l'arrêt. Son étude des collisions des balles rigides le conduisit à conclure qu'il y avait quelque chose de particulier dans le produit de la masse et du carré de la vitesse. Remarquablement, en ajoutant les valeurs de pour chaque balle avant la collision, il obtenait la somme qui était essentiellement la même après la collision ; même si toutes les vitesses avaient varié. En prenant le carré de la vitesse, on ne dépend plus de la direction et du sens de ; est toujours positive et s'annule seulement lorsque s'annule.
Leibniz a relevé l'idée et il a appelé vis viva (force vive) la quantité . Il a montré que, dans le cas d'un corps en chute libre, est proportionnel au produit du poids et de la hauteur considérée par Galilée. Ce n'est qu'en 1807 que T. Young, physicien et médecin anglais, a parlé de , pour la première fois, comme énergie. Il a conclu que « le travail effectué pour produire un mouvement, est proportionnel à l'énergie obtenue ». Autrement dit, le travail qui cause le mouvement est égal à la variation de l'énergie qui en résulte.
Considérons un champ de force qui agit continuellement sur un corps. Par exemple, l'interaction gravitationnelle, à l'origine du poids du corps. Pour déplacer le corps vers le haut, il faut exercer une force ascendante (musculaire ou par un ascenseur) contre le poids dirigé vers le bas et cela nécessite un travail. Le point crucial est que la force continue à agir après le déplacement du corps. Un corps, soulevé dans un champ gravitationnel, subit toujours une force descendante, bien qu'il soit maintenu immobile. S'il est lâché, il tombe : la force gravitationnelle le conduit vers le bas et il reçoit de l'énergie cinétique en descendant.
Tout ceci semble normal : le travail effectué pour soulever le corps est finalement transformé en énergie cinétique. Mais qu'arrive-t-il à ce travail pendant que le corps est maintenu immobile, en haut, dans le champ gravitationnel ? L'énergie ne commence à être « libérée » que lorsque le corps est lâché. Apparemment, il est possible d'effectuer un travail sur un système et ne pas le voir aussitôt transformé en énergie cinétique. Mais la possibilité de générer cette énergie cinétique est toujours là, à cause de la force toujours présente. En d'autres termes, tout se passe comme si l'énergie était emmagasinée dans le système d'objets en interaction, prête à être libérée. Cette énergie liée à la position d'un corps dans un champ de force ou à la configuration d'objets en interaction, est connue sous le nom d'énergie potentielle d'interaction, un nom suggéré par W. Rankine au milieu du 19ème siècle. Les forces qui peuvent restituer l'énergie emmagasinée sont des forces conservatives ; elles conservent l'énergie mécanique (L'énergie mécanique est la somme de l'énergie cinétique et de toutes les énergies potentielles d'interaction : .).
La variation de l'énergie potentielle d'un corps, lorsqu'il est déplacé d'un point où il est au repos à un autre point où il l'est aussi, est égale au travail effectué pour vaincre l'interaction conservative qui emmagasine de l'énergie (On peut imaginer la présence d'un opérateur qui, à chaque instant, compense exactement l'interaction.). L'énergie potentielle existe seulement dans le cas d'objets en interactions.